Les constitutions de la France comparées à la Charte de 1830 (III).

Publié le par DAN

On sera sans doute surpris de l'actualité du propos au regard des problèmes sociaux et politiques que nous connaissons aujourd'hui quand à ces commentaires de 1836 ! Que bien peu de choses aient changé depuis Louis-Philippe n'est guère encourageant et il serait peut être temps que ses rejetons se prennent d'un intérêt plus pressant de nos affaires. 

 
 

« Moyennant l'acceptation de ces dispositions et propositions, la chambre des députés déclare enfin que l'intérêt universel et pressant du peuple français appelle au trône S. A. R. Louis-Philippe d'Orléans, duc d'Orléans, lieutenant-général du royaume, et ses descendants à perpétuité, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur « descendance. » — En conséquence, S. A. R. Louis- Philippe d'Orléans, duc d'Orléans, lieutenant-général du royaume, sera invité à accepter et à jurer les clauses et engagements ci-dessus énoncés, l'observation de la Charte constitutionnelle et des modifications indiquées, et, après l'avoir fait devant les chambres assemblées, à prendre le titre de Roi des Français. »

    LA CHARTE CONSTITUTIONNELLE (III).
 

"On conçoit que le vœu d'un peuple puisse être opposé à ses intérêts véritables ; aussi des publicistes prétendent- ils que la souveraineté du peuple doit céder devant son intérêt bien entendu ; néanmoins je pense que les deux principes se confondent. Le plus souvent la décision de l'opinion publique sera conforme à l'intérêt du public; dans les cas où elle s'en écartera, il vaudra toujours mieux travailler à l'éclairer que violenter la nation pour la rendre en quelque sorte heureuse malgré elle.
D'ailleurs vaut-il mieux, pour reconnaître le véritable intérêt d'un peuple, s'en rapporter à quelques individus isolés, même en les supposant des philosophes du premier ordre , des sages exempts de tout amour du pouvoir, qu'à des représentants tirés de toutes les parties du territoire et revêtus de la confiance des citoyens ? Je ne le crois pas. Enfin, il est constant que les lois n'inspireront un respect et un attachement général que lorsqu'elles seront, comme l'a dit Rousseau, l'expression de la volonté générale.
En fait, la souveraineté du peuple se concentre parmi les gens éclairés ; c'est une raison pour eux d'employer tous leurs efforts à propager et généraliser leurs lumières, afin qu'on ne les accuse pas d'aspirer au monopole des jouissances sociales.
 

Le principe de la souveraineté du peuple n'a pas grande importance considéré affirmativement, je veux dire comme attribuant un droit ou une faculté ; puisque jamais des individus isolés ne pourront empêcher une nation de régler la forme de son gouvernement, lors- qu'elle le voudra formellement : démontrer qu'elle en aie droit, est donc aussi superflu que de démontrer qu'un enfant a droit de devenir homme. — Il a plutôt une valeur négative, en ce sens qu'il exclut tout principe contraire; par exemple, celui qui fonderait l'autorité sur la grâce de Dieu, ou sur une possession immémoriale, ou même sur les lumières prétendues de ceux qui l'exercent."

 

Article I. Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient d'ailleurs leurs titres et leurs rangs. 

"Quelle est donc la signification de l'article 1 ? Son but unique, selon moi, est de proscrire les privilèges attachés aux distinctions de naissance. Permis à des individus de se qualifier nobles de par l'ancien régime, ou de par Napoléon ; permis au roi d'en créer de nouveaux , et de leur assigner des honneurs , des préséances dans les cérémonies publiques; mais il est interdit de leur accorder des droits particuliers et de les exempter des devoirs de la société (art. 62). En conséquence, ils contribueront comme les roturiers, en proportion de leur fortune, aux charges de l'Etat  et renonceront désormais au monopole des emplois civils et militaires , qu'ils exerçaient avant la révolution de 1789.
Telle est la disposition des articles 2 et 3, qui sont le développement de l'article 1. L'aristocratie nobiliaire est donc réellement détruite aujourd'hui, puisque ses droits ne sont pas plus étendus et que ses devoirs sont aussi nombreux que ceux des autres citoyens ; elle a conservé seulement le bagage de ses titres et de ses armoiries, que peu de gens lui envient, et dont le législateur refuse de lui assurer la possession exclusive (art. 62). — Malheureusement l'aristocratie des richesses tend insensiblement à se substituer à elle ; et la preuve c'est qu'on divise encore généralement la nation en plusieurs classes : on distingue la classe supérieure, la classe moyenne et la classe inférieure qu'on appelle aussi le peuple; or, ces dénominations ne peuvent plus avoir de sens que pécuniairement parlant, puisque, s'il y a encore des nobles, les autres citoyens ne se subdivisent plus en bourgeois, ou habitants de communes affranchies, et en
paysans ou serfs. La loi favorise le préjugé, en proportionnant les droits politiques au taux des contributions directes ( art.34 ).

Après avoir renfermé le texte dans ses véritables limites, il reste à expliquer quel principe doit suivre le législateur, dans la répartition des droits et des devoirs. C'est, je crois, l'utilité publique, ou, si l'on veut, le plus grand bien du plus grand nombre. Il, en résulte évidemment tendance à l'égalité, puisque la perfection du système serait le plus grand bien de tous. Toutes les fois qu'une inégalité artificielle ou accidentelle n'ajoute rien au bonheur commun, le législateur doit s'abstenir de l'introduire, et si elle existe déjà, l'effacer graduellement. A l'égard de l'inégalité que la nature a mise entre les facultés intellectuelles ou physiques des hommes, il faut bien se résigner à la subir, puisqu'aucune puissance humaine ne peut la détruire ; on doit se borner à l'empêcher de s'accroître, et à prévenir l'abus que les individus supérieurs pourraient en faire pour nuire aux inférieurs."

 

« Les impôts sur toute chose nécessaire à la vie, sont au fond très iniques : car le pauvre qui ne peut dépenser que pour son nécessaire , est forcé de jeter les trois quarts de ce qu'il dépense en impôts, tandis que ce même nécessaire n'étant que la moindre partie de la dépense du riche , l'impôt lui est presque insensible. De cette manière, celui qui a peu paye beaucoup, et celui qui a  beaucoup paye peu. »
J.-J, Rousseau, Lettre à Dalembert.

 

 

Article 2. Ils contribuent indistinctement, dans la proportion de leur fortune, aux charges de l'État.


"... A l'égard de la richesse mobilière, bien plus considérable aujourd'hui qu'autrefois , l'impossibilité d'évaluer exactement celle de chaque individu, oblige de se contenter de la présomption que la dépense est proportionnée au revenu. C'est sur cette base que sont assises la plupart des impositions indirectes, qui composent la meilleure portion des recettes de l'Etat.
Une interprétation littérale de l'article a, conduirait à les rejeter : mais l'article 4 qui les autorise en termes exprès , montre que la Charte n'a entendu qu'approximativement proportionner les contributions à la fortune.
Toutefois on est au moins en droit d'exiger qu'il y ait approximation : or elle ne se rencontre pas dans les impositions indirectes qui frappent des objets de première nécessite. Tout homme a besoin pour exister d'une certaine quantité de viande , de vin, de sel ; il est obligé de se la procurer, alors même que le prix absorbe la totalité de son revenu ; réciproquement il n'a pas besoin de s'en procurer davantage , alors même que son revenu excède ce prix de beaucoup; il cherchera seulement à s'en procurer de meilleure qualité ; ainsi l'on condamne à un sacrifice égal, et le pauvre qui a tout juste de quoi se nourrir, et le riche qui jouit d'un superflu plus ou moins considérable. Ou si le premier cherche à s'y soustraire, son bien-être et même son existence peuvent être compromis. Le seul moyen d'atténuer d'aussi graves inconvénients, serait d'établir l'impôt graduellement sur les premières qualités, et d'en affranchir complétement la qualité inférieure. L'impôt établi sur des objets de luxe , sur des objets qui donnent seulement une jouissance , sans être indispensables à la vie des hommes, produit des effets plus égaux. Le nombre des domestiques, des équipages, des chevaux, des chiens , se mesure ordinairement sur le superflu de richesse; en le prenant pour base d'une contribution, on risque tout au plus de heurter quelque fantaisie, mais non d'altérer le bien-être des citoyens ! .." 

 

 

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  Source Google : "Commentaire sur la Charte constitutionnelle" 1836

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