"L'ancien régime et la révolution" lu par le duc d'Aumale.

Publié le par DAN

 

".. je voulais vous parler du livre de M. de Tocqueville, que j'achève en ce moment. Je l'ai lu avec le plus vif intérêt et j'en fait le plus grand cas, bien que je ne partage pas toutes les opinions de l'auteur, et que je ne tienne pas pour neuf tout ce qu'il présente comme tel. Voici comme je résume les impressions que me laisse cette lecture :
"M. de Tocqueville montre bien que la Révolution était nécessaire, légitime, malgré ses excès, qu'elle seule pouvait détruire les abus, affranchir le peuple, les paysans, comme dit l'auteur. Il absout la Révolution d'avoir créé la centralisation exagérée et beaucoup d'instruments de la tyrannie: tout cela existait avant elle; il l'absout d'avoir détruit les contrepoids qui pouvait arrêter l'anarchie ou la tyrannie:ils avaient disparu avant elle. Mais il l'accuse, non sans quelque vraisemblance, de n'avoir su, jusqu'ici, créer aucun de ces contrepoids dont la place, au moins, était encore marquée sous l'ancienne monarchie. Il l'accuse d'avoir repris toute la machine gouvernementale de l'ancien régime, et d'avoir constitué un état tel qu'au bout de soixante ans nous avons été, pour la seconde fois, et Dieu sait pour combien de temps, ramenés à une tyrannie plus logique, plus égale, mais assurément plus complète que l'ancienne.
"Le défaut du livre est de ne pas conclure; d'être un peu désespérant, de ne pas faire assez ressortir le bien, de ne pas indiquer le remède au mal. Il est bon de dire la vérité au peuple, mais pas d'un ton décourageant; ilne faut surtout pas avoir l'air de dire à une grande nation qu'elle est indigne de la liberté: cela réjouit trop les oppresseurs, les serviles, les égoistes.
Avec tout cela, c'est un beau livre, que j'admire et qui mérite, je crois, qu'on dise du bien pour le fond comme pour la forme. Car, ainsi que vous le dites, on y respire une sincère horreur de la tyrannie, et c'est là qu'est l'ennemi. L'ancien régime est mort, pour ne plus revenir; mais il n'est pas permis de croire que, sur ses ruines, on ne puisse reconstruire que le despotisme ou l'anarchie: ce sont là les bâtards de la Révolution; c'est la liberté seule qui est sa fille légitime, et qui, avec l'aide de Dieu, chassera un jour les intrus."

Correspondance duc d'Aumale et de Cuvillier-Fleury
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(source "Idée.Gallimard" 1975, préface de JP Mayer) 
 

Pour mieux connaitre le duc d'Aumale et les autres enfants de Louis Philippe, cet ouvrage d'Armand Teyssier, Edition Pygmalion, Janvier 2006. 

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