Mirabeau, "Des lettres de cachet et des prisons d'Etat" (1780).

Publié le par DAN

Ce présent billet est dédicacé à Julien Coupat, détenu de par le bon plaisir du résident de l'Elysée, non car j'en partagerais les opinions, mais pour la liberté d'opinion, de conscience et d'édition et de lecture encore, et que chacun des protagonistes soit jugé pour ses faits et méfaits.

 

J'ais déjà écrit sur ce fait, la publication de documents sur ces Cahiers ne prétend pas à se substituer aux travaux d'historiens sur ces mêmes matières mais de donner des éléments bruts à la réflexion politique, à aider cette réflexion à s'inscrire dans l'histoire de notre Nation.

Ainsi au delà des ruptures se percoivent de belles continuités dont Mirabeau nous apporte ici le témoignage nous rappelant la vivacité des luttes et débats intellectuels pour les libertés individuelles, le respect du droit naturel, "les droits des gens", nos futurs "droits de l'homme".

En complément du présent billet, on se reportera donc avec profit à cet autre du 1 Novembre 2008 consacré à Francisco de Vitoria (Répertoire).

"DES LETTRES DE CACHET et DES PRISONS d'ETAT" 


"Quoi qu'il en soit, je n'ai pas conçu le chimerique espoir d'engager le gouvernement à proscrire une méthode que les puissants ont tant d'intérêt à défendre, et que les ministres n'abandonneront jamais volontairement.
Mais qui pourrait, sans un chagrin amer, entendre des citoyens, d'ailleurs honnêtes et incapables d'encenser le despotisme, adopter légèrement des maximes destructives de toute liberté, et se laisser persuader par des exemples particuliers que la violation des règles et des lois est utile ou même nécessaire? Quelle ressource nous reste-t-il, si l'opinion publique invoque l'arbitraire?
Tout honnête homme doit, quand il le peut, travailler à dissiper des illusions si funestes, et c'est ce que je me propose dans cet ouvrage. Mon dessein étant d'ailleurs de dévoiler la tyrannie intérieure des prisons d'État, il faut remonter à l'injustice qui en est la source. Si je me trompe en pensant que la raison et la vérité généralement répandues pourraient un jour, en s'assurant de la pluralité des suffrages, triompher de l'ambition, de l'intrigue et du despotisme, c'est du moins une erreur honnête." (...)

"Nos chaînes sont trop étroites, et ma détention trop rigoureuse, pour que je puisse tenter juridiquement un tel effort. Mais j'adresse à la nation les plaintes qu'il m'est impossible de faire parvenir aux tribunaux, qui d'ailleurs ne les admettraient pas, et du sein d'une odieuse prison je paie ma dette à ma patrie, autant qu'il est en moi, vu la faiblesse de mes talents et les circonstances particulières de ma situation.

Un des principaux objets de cet écrit est de faire connaître les brigandages que l'impitoyable cupidité d'un préposé subalterne exerce sur les malheureux dont la garde lui est confiée. Je ne nomme que lui, parce que je ne connais que lui d'aussi coupable ; je le nomme, parce qu'heureusement il est mortel ou révocable, et qu'il serait injuste d'exposer le lecteur à accuser un autre de ses bassesses." (...)


"Sous son propre règne on se relâcha à cet égard de la rigidité des anciennes ordonnances, et la fameuse déclaration, publiée et enregistrée le 24 octobre 648, porte : « Que l'on ne pourra plus tenir aucun même particulier du royaume en prison plus de trois jours sans l'interroger. » Il est vrai que cette déclaration fut donnée an commencement des troubles de la minorité de Louis XIV: mais à cet égard, le parlement fut plutôt faible que seditieux .."

"Je traiterai d'abord des emprisonnements arbitraires; je parlerai ensuite des prisons d'État.

Je prouverai que la prérogative royale par laquelle un citoyen peut être détenu prisonnier, en vertu d'une lettre close et sans aucune forme judiciaire, est une violence contraire à notre droit public et réprouvée par nos lois; que, fût-elle fondée sur un titre légal, elle n'en serait pas moins illégitime et odieuse, parce qu'elle répugne au droit naturel, parce que les détentions arbitraires sont destructives de toute liberté, et que la liberté est le droit inaliénable de tous les hommes. Je prouverai enfin que l'usage des lettres de cachet est tyrannique, sous quelque point de vue qu'on l'envisage, et que son utilité prétendue, entièrement illusoire, ne saurait jamais balancer les inconvénients terribles qui en résultent."

 

"En effet, quelle espèce de propriété peut-on compter à soi, si ce n'est celle de sa personne ? Quelle est la liberté dont on jouit dans un pays où la propriété personnelle n'est pas garantie par les lois ; où l'ordre non motivé d'un ministre, quelquefois délivré à son insu, souvent accordé à la simple sollicitation d'un grand vindicatif, d'un homme accrédité, d'une favorite intrigante, d'un subalterne cupide qui a reçu le prix de sa partialité, suffit pour plonger un citoyen dans une prison, sans que le magistrat puisse venir à son aide, sans que la loi lui prête aucun secours, sans qu'aucun autre terme soit fixé à sa détention, que la volonté de celui-là même qui l'a ordonnée, ou plutôt de celui qui l'a obtenue? N'est-ce pas là le pur despotisme? Nest-ce pas le dernier degré de despotisme ?... "

"Eh ! pourquoi, si le droit des emprisonnements illégaux est incontestable, ne l'a-t-on pas consigné dans une loi, au lieu d'avoir recours à une méthode si odieuse, qu'elle est soupçonnée d'injustice et de partialité, lors même qu'elle punit un coupable ? Le seul édit par lequel nos rois se soient jamais attribué le pouvoir de reléguer leurs sujets à volonté, cet édit attentatoire aux droits de la nation et de l'humanité, ne parle que "d'éloigner les citoyens pour un temps du lieu de leur établissement ordinaire". Pourquoi cette formule équivoque et captieuse ? Pourquoi, si cette prérogative est immémoriale, cet édit unique est-il de l705 ? "

 

 "Je n'accumulerai point ici des détails qui deviendraient fatigants par la multiplicité et l'étendue des textes qu'il faudrait rapporter. Je les ai rejetés à la fin de cet ouvrage, pour en rendre la lecture moins aride ; mais voici les résultats des preuves que j'ai rassemblées.
Dès les premiers temps de la monarchie, on trouve des lois qui annullent tous actes, tous jugements fondés sur des ordres illégaux et surpris. Depuis les codes barbares jusqu'à nos jours, une tradition écrite, constante, et non interrompue, établit cette doctrine. M. de Montesquieu assure cependant que les préceptions de nos premiers rois étaient des ordres qu'ils envoyaient aux juges pour faire ou souffrir certaines choses contraires à la loi, d'où il suivrait que l'usage des lettres de cachet, connues sous un autre nom, remonte jusqu'à l'origine de la monarchie.
« Il y avait bien des lois » établies, dit cet illustre écrivain; mais les rois les rendaient inutiles par de certaines lettres appelées préceptions, qui renversaient ces mêmes lois. C'était à peu près, ajoute-t-il, comme les rescrits des empereurs romains, soit que les rois francs eussent pris d'eux cet usage, soient qu'ils l'eussent tiré du fond même de leur naturel. »

"Ce grand homme s'est trompé. M. Houard et M. de Montblin ont victorieusement réfuté son opinion. Le premier surtout a démontré, dans son savant commentaire sur Littleton, qui d'ailleurs ne peut être suspect à l'autorité, que les préceptions étaient sujettes à la vérification des juges, et n'avaient pour but que de leur rendre certain que telle ou telle demande avait été approuvée par le souverain, en la supposant conforme à la justice, au droit public, et fondée sur un exposé vrai, sans quoi les juges étaient tenus de déclarer nulles les préceptions. Ce n'est pas qu'on n'en ait sans doute abusé souvent ; et l'histoire l'atteste assez, quoique les faits cités par M. de Montesquieu le prouvent fort mal."









"Les rois francs, souverains barbares d'un peuple barbare, commettaient beaucoup de violences, et ces violences ne pouvaient guère avoir pour objet que des particuliers, parce que le corps de la nation étant armé, il eût été très facile de repousser des actes d'oppression générale. Voilà, pour le dire en passant, pourquoi, tant que les souverains ne possédèrent pas exclusivement le droit de l'épée, on imposa rarement des taxes illégales. Le prince transgressait la loi beaucoup plus aisément, lorsque les particuliers seuls étaient lésés. « Les Français, dit M. de Mably, pouvaient tolérer » de la part de leur chef quelques violences atroces, parce qu'elles étaient dans l'ordre des mœurs publiques; mais une autorité suivie, raisonnée et soutenue, eût été impraticable» à plus forte raison un despotisme paisible, et non contredit, tel qu'il le faut pour l'exercice du droit arbitraire d'emprisonnement. Des souverains si dépendants ne donnaient sûrement point à leurs attentats une sanction légale, en forçant les juges d'être leurs complices. Je pense, avec l'habile publiciste que je viens de citer, que la démocratie par laquelle commença la monarchie française dégénéra très rapidement en aristocratie ..."  

  "Le plus auguste monument de la législation française, le Pacte de la loi salique, porte expressément que : « Les Français seront juges les uns des autres avec leurs princes, et qu'ils décerneront ensemble les lois. » .."

 

   
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